BlogCahiers de l’innovation


« On a un peu peur, on ne sait pas faire. » Ces réactions émanant de personnels hospitaliers, Fabrice Julien les a souvent entendues lorsqu’il a commencé à évoquer avec ses équipes des projets de prise en charge des personnes en situation de handicap. Comment accueillir au mieux, dans une unité de soins, une personne autiste, trisomique, ou infirme moteur-cérébrale ? Comment aider une personne en situation de handicap (PSH) à accéder aux soins, malgré ses angoisses et sa perte de repères ? Comment intégrer les aidants dans cette prise en charge ? M. Julien dirige la Clinique de Bonne-
veine, à Marseille, dont un service d’hospitalisation de jour reçoit spécifiquement les PSH, le temps d’un bilan de santé.
La Clinique de Bonneveine – établissement privé à but non lucratif – appartient à la branche santé Doctocare du groupe DocteGestio. Créée en 1927, elle compte 100 lits et places dans ses services de MCO, de SSR, ainsi qu’en chirurgie et chimiothérapie ambulatoires. Elle propose des consultations dans une soixantaine de spécialités. Son nouveau projet d’établissement est fortement orienté vers l’accueil des personnes en situation de handicap (PSH), préoccupation de longue date
de cette clinique qui s’inspire des engagements de la Charte Romain Jacob*. Dès 2009, cet engagement s’est concrétisé par l’adhésion de l’établissement au réseau HandiDent : il s’agissait alors de proposer aux PSH de bénéficier de soins bucco-dentaires sous anesthésie générale. La Clinique a ensuite mis en place une collaboration étroite avec les structures médico-sociales de la région, puis créé en 2015 un bilan de santé spécifique pour les PSH. L’objectif : proposer à ce public souvent négligé de bénéficier, sur une journée, de l’ensemble des examens et consultations spécialisées nécessaires.
La Clinique a donc créé une unité d’hospitalisation de jour dédiée (à découvrir en vidéo : « Une journée particulière » sur la chaîne Youtube de la Fehap). . Les patients et leurs accompagnants se présentent en début de matinée pour une journée dont le programme est préétabli par le médecin. En fin de journée, une synthèse est transmise aux aidants et au médecin traitant du patient. Ce bilan médical complet et sur mesure permet de limiter le nombre de déplacements, donc lestress de la personne, et prévient des hospitalisations inutiles.
Fabrice Julien détaille l’originalité de cette prise en charge.
« Beaucoup de personnes nous sont adressées sans avoir de projet de santé, notamment celles venant directement du domicile. Pour elles, c’est compliqué d’accéder aux soins. Ce n’est pas une question d’accessibilité, mais d’organisation. Leur handicap ne leur permet pas de s’adapter aisément à un environnement hospitalier. Donc c’est à nous de nous adapter.
Dans cet HDJ, c’est la personne qui est au centre, et tout le monde s’adapte à elle, en permanence, pour que cette journée soit la plus apaisée possible : les praticiens, le service de restauration, etc.
S’il faut décaler un repas, on le fait. S’il faut accueillir 3 accompagnants, on les accueille. S’il faut qu’un médecin se déplace, il le fait.
Si la consultation doit se faire au cabinet, parce qu’il faut des équipements spécifiques, alors nous faisons passer le patient de l’HDJ en priorité pour lui éviter une attente qui pourrait l’angoisser. Nous ne recevons donc que 6 à 8 patients par jour, mais ils bénéficient d’un bilan complet : examen bucco-dentaire, dépistage des cancers, radios, échographies, bilan cardiaque, pneumo, endocrino, gynécologique, etc. Si besoin, l’assistante sociale, la psychologue, la neuropsy ou la psychomotricienne peuvent aussi intervenir. Les personnels de cet HDJ – médecin coordinatrice, cadre infirmière, infirmière, ASH et secrétaire – sont formés.
Surtout, elles ont une très grande expérience, un savoir-être particulier. La clef, c’est la préparation de cette journée, tout doit être parfaitement orchestré. Nous avons même réalisé 10 petits films très courts pour expliquer aux patients qui vont venir en HDJ le déroulé d’une prise de sang, l’utilisation du gaz Meopa, les principaux examens, etc. Ils les visionnent chez eux avant de venir. »
La Clinique de Bonneveine veut aller plus loin, et souhaite proposer aux PSH une prise en charge globale et adaptée.
Pour cela, elle envisage la création d’une unité d’hospita- lisation complète polyvalente, de 8 à 10 lits, ouverte à tout patient en situation de handicap moteur, psychique ou mental. Les chambres seraient aménagées et équipées (rails pour le transport des personnes). L’organisation du séjour, l’accueil des aidants, la restauration et la prise en charge de la douleur feraient l’objet d’une attention particulière. En complément, une équipe mobile dédiée se déplacerait – à la demande du médecin traitant ou de la structure d’origine du patient – afin de réaliser une expertise globale de la situation, de préparer l’hospitalisation et d’anticiper le retour à domicile et la continuité des soins. Enfin, un Service polyvalent d’aide et de soins à domicile (SPASAD) interviendrait notamment en aval de l’hospitalisation. Un plan de formation conséquent est prévu, portant notamment sur des thématiques spécifiques (langage non verbal, prise de repas et troubles de la déglutition, etc.). Ce projet a été présenté à l’ARS en 2018. La recherche de financements est en cours.
Cet engagement au service des personnes en situation de handicap a valu à la Clinique de Bonneveine plusieurs récom- penses. Elle a reçu en 2017 un Trophée de l’innovation de la FEHAP. En 2018, elle a obtenu pour son hôpital de jour le label régional Droit des usagers délivré par l’ARS, et a été finaliste des Trophées Handicap de la MNH. Au-delà de cette reconnaissance, Fabrice Julien sait ce que l’établissement retire de l’initiative : « Ce n’est pas une activité qui dégage beaucoup de marges économiques, c’est sûr. Mais accueillir les personnes en situation de handicap, cela a pour nous tous tellement de sens… ».
* La Charte Romain Jacob pour l’accès aux soins des personnes en situation de handicap (2014) a été signée notamment par le ministère des Affaires sociale et de la santé et toutes les fédérations hospitalières